Gabriel était assis à son bureau en train de rédiger un rapport lorsqu’on frappa à la porte de son office. D’une voix monocorde il annonça que c’était ouvert et qu’on l’on pouvait entrer. Il entendit la porte s’ouvrir et deux personnes entrer. Gabriel garda la tête penchée sur son dossier. Lorsqu’un des deux nouvel arrivant prit la parole il reconnut tout de suite la voix du lieutenant Adelsohn. La main tenant le stylo avec lequel il rédigeait son rapport se crispa imperceptiblement. Bastardo. Un sourire radieux illuminant son visage halé le sud-américain se décida à lever la tête et d’une voix chaleureuse répondit à son collègue.

-Avec plaisir Ilian !

Gracieusement le chamane se leva et s’approcha des deux hommes. Rapidement il détailla l’inconnu du regard. A première vue il devait avoir un peu plus de la vingtaine. Assez séduisant. De profonds yeux océans et une peau passablement bronzée. Le vénézuélien se présenta à l’étranger d’une voix neutre.

-Bonjour. Gabriel Miraglia Cortés. Informateur de la base 2304-Z. Prenez place je vous prie.

L’informateur désigna l’unique chaise située juste en face de son bureau au brun qui obéit et s’assit en silence. Puis le chamane reporta son attention sur Ilian et lui adressa le plus beau sourire qu’il pouvait.

-Ça me fait plaisir de te revoir. Désolé d’avoir disparu comme ça après notre duel ; mais à peine je me réveillais à l’infirmerie que j’étais assigné à une mission qui nécessitait mon départ pour ma terre natale. L’Amérique du Sud.

Gabriel accompagna le tout d’un clin d’œil à l’égard du lieutenant. L'allemand aussi était séduisant, c’était un fait. Et intelligent. Toujours aussi chaleureusement Gabriel poursuivit.

-Je m’occupe de lui ; tu peux y aller.

Puis il raccompagna l’élémentaliste jusqu’à la porte et avant de la refermée s’adressa une dernière fois au châtain.

-Ça te dirait qu’on mange un truc ensemble un de ces jours ? Je serais ravi d’en apprendre plus sur toi ! Enfin, redis-moi.

Sans attendre de réponse le noiraud referma la porte et alla s’asseoir derrière son bureau. Là il plongea ses yeux cuivrés dans ceux de nouvel arrivant et s’adressa à lui d’une voix redevenue froide.

-Je vous écoute. Quelle est votre identité et qu’êtes-vous venu faire ici à la base Lómilendë ?

En attendant que son interlocuteur réponde, Gabriel se saisit d’un nouveau dossier vierge qu’il ouvrit devant lui. Désormais l’informateur était prêt à confiner tout ce qu’allait lui dire l’inconnu dans ce nouveau dossier qui lui serait dédié.

Impassible et silencieux Gabriel écouta le nouveau venu décliner son identité. Ivan de par son prénom ; Australo-Russe. Pour ce qui était de son art le vénézuélien n’avait pas besoin de poser la question au soldat, il était également chamane, Gabriel le sentait. Le russe expliqua également à l’informateur la raison de sa venue à Lómilendë en Irlande. Une fois que le brun eut fini de parler le noiraud resta silencieux. Il réfléchissait. Si ce Hemsworth était un soldat de Russie soit c’était un volontaire engagé pour Sliven – la Russie faisait partie de Sliven – et donc une menace ; soit c’était un des nombreux habitants qui n’avait pas eu le choix et qui avait été enrôlé de force dans l’Armée Russe, venant gonflé les rangs de Sliven contre son gré. De prime abord l’Informateur penchait plus pour la deuxième solution. Ivan ne semblait sincère. Mais entre ce que les gens « semblent » être et ce que les gens « sont » il existe un fossé que Gabriel connaissait bien.

Toujours en silence le sud-américain se mit à écrire frénétiquement sur le clavier de l’ordinateur posé sur son bureau. En quelques secondes il accéda à la liste des soldats sliviens de Russie connus par les services de l’information de l’OMDHS comme étant dangereux. Pas d’Ivan. Puis le vénézuélien jeta un coup d’œil à la liste de l’Australie. Toujours pas d’Ivan. En résumé soit le chamane russe n’était pas encore connu des services de l’OMDHS et il représentait effectivement une menace, soit il n’en était tout simplement pas une. Enfin Gabriel reprit la parole.

-La Russie, tout comme l’Australie, sont deux pays qui font partis de l’organisation terroriste Sliven. D’autre part, vous vous déclinez vous-même comme « soldat de Russie ».

L’informateur marqua une pause entendue avant de reprendre sur un ton inquisiteur.

-Or, la question qui suit me semble évidente : Êtes-vous un pro-Sliven ? Et si non ; pourquoi faites-vous parti de l’armée russe ?

Gabriel avait déjà son idée sur la question. Ivan devait sûrement être un enrôlé de force qui avait déserté l’armée slivienne russe ; la mort l’attendait donc à son retour en Russie. D’autre part sa quête d’informations sur sa mère semblait sincère et n’aurait pas pu mieux aboutir que dans le bureau d’un informateur qualifié. En effet, une vois l’entrevue finit Gabriel serait certainement des plus à même de donner de multiples renseignements à Ivan sur sa génitrice.

Alors qu’il attendait la réponse du brun qui semblait réfléchir Gabriel apposa le nom d’ « Ivan Hemsworth » sur le dossier posé devant lui et créa ensuite un fichier dans l’ordinateur. L’australo-russe était définitivement fiché.

Impassible et silencieux Gabriel écouta Ivan répondre à ses questions. Amèrement et cyniquement le sud-américain ne put s’empêcher de penser « de nuevo, una historia trágica.». Décidément cette guerre n’avait que trop duré. Lorsque le russe conseilla à Gabriel de chercher des informations sous le nom « Vodianova ». Rapidement le noiraud tapa les caractères dans la barre de recherche de l’ordinateur. Un dossier s’afficha. L’informateur le lut brièvement. Les informations corroboraient. Toujours en silence Gabriel entreprit d’autres recherches. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver le fichier qui relatait le naufrage du navire sur lequel la mère d’Ivan s’était embarquée 15 ans auparavant. Le bateau avait coulé quelques heures avant l’affrontement ; certainement coulé par Sliven lors de sa tentative d’invasion de l’Irlande.

Gabriel soupira. Savoir si la mère du russe était morte était très facile, il suffisait au vénézuélien d’invoquer son esprit ; si elle répondait présente c’est qu’elle était bel et bien morte. Très vite l’informateur prit sa décision. Ce n’était pas son rôle, il n’était pas baby-sitter, son rôle à lui c’était de contrôler et vérifier si Ivan représentait un danger ; ce qui n’était pas le cas. Toujours froidement et sur un ton détaché Gabriel reprit enfin la parole :

-Bien. Soldat Hemsworth, vous ne semblez effectivement pas représenter un danger pour la base 2304-Z. Cependant il vous reste un choix à faire : retourner en Russie et vous faire abattre ou mettre votre formation militaire à notre service et vous engager dans la base Lómilendë.
L’informateur transperça son interlocuteur de ses yeux mordorés avant de poursuivre un peu plus chaleureusement.

-De prime abord ceci ne devrait pas vous poser de problèmes éthiques vu que vous êtes déjà soldat et que vous n’êtes pas pro-Sliven.

Gabriel marqua une courte pause, se leva et invita le russe à le suivre. Sur le pas de la porte il lui fit signe de sortir et avant de refermer la porte conclut.

-Quoiqu’il en soit cette décision n’est pas de mon ressort. En attendant le retour d’un des trois dirigeants de la base je me vois dans l’obligation de vous confiner ici. Vous n’êtes pas prisonnier. Jusqu’un fortement invité à coopérer. Comme je le disais donc les générales Nàsdy et Tsukiyo ne devraient pas tarder à revenir à la base ainsi que le Coordinateur, mais pour le moment vous serez sous la garde de la soldate Yroko. Allez-vous présenter à son bureau il se trouve dans le département du combat tout au fond à droite.

Avant de fermer la porte Gabriel fit signe à son interlocuteur de patienter et alla rapidement gribouiller un mot qu’il scella magiquement. Il le tendit à Ivan et avant de fermer la porte lui ordonna.

-Remettez ceci à la soldate Valandra Yroko, toutes les explications relatives à la garde qu’elle doit exercer sur vous sont à l’intérieur de cette enveloppe.